Broderies médiévales : points utilisés

Les points de broderies utilisés au milieu du moyen-âge sont assez simples et pour la plupart encore largement utilisés aujourd'hui. Si utiliser un point attesté à une période donnée n'est pas suffisant pour faire de la broderie historique (nous verrons ce point dans la conclusion), c'est un prérequis nécessaire.

Cet article a pour but de recenser les points les plus fréquemment utilisés d'après les artefacts qui nous sont parvenus. Pour une explication complète et technique sur les points de broderie en eux même, de nombreux ouvrages et sites internet proposent des explications claires et détaillées (Le site de Mary Corbet par exemple ou L'Encyclopédie de la broderie : Plus de quatre cents points de Mary Thomas et Jan Eaton, Ed. Fleurus).

Un grand merci à Laetitia Martini de l’association Fief et Chevalerie pour m'avoir permis d'utiliser certaines de ses photographies prises au musée de Sens.

Points abordés dans l'article

  • Point de tige ;
  • Point fendu ;
  • Point de chaînette ;
  • Points de tapisserie ;
  • Points de couchures ;

Point de tige

Le point de tige est un des points les plus utilisé en broderie aujourd'hui. A l'époque médiévale, il était essentiellement utilisé pour rehausser les contours. On le retrouve ainsi dans des broderies de styles très différents comme la tapisserie de Bayeux ou des pièces de l'opus teutonicum.

Tenture de l'abbaye d'Isenhagen, 1346/1355. Musée de l'abbaye d'Isenhagen. © Bildarchiv Foto Marburg / Foto: Scheidt, Thomas; Aufn.

Point fendu

Le point fendu est un point de tige où l'ont fait ressortir l'aiguille dans le point précédent. Il était travaillé au fil de soie floche.

L'effet ressemble au point de chaînette mais il est plus économe en fil. Il servait aux contours par exemple dans la tapisserie de Bayeux au XIe siècle mais aussi pour le remplissage notamment pour la technique, dite, de peinture à l'aiguille, dès le XIIe siècle :

sens-point-fendu-01.JPG Photographie : Laetitia Martini.
Bourse à relique, XIIe siècle, Musée de Sens.

C'est également un des points spécifique à l' opus anglicanum :

opus-anglicanum-02.jpg Cape, à l'arbre de Jesse, Angleterre, 1310-1325, Victoria & Albret Museum.

J'ai utilisé le point fendu en remplissage pour les bandes de broderie de mon costume fin XIe.

Points de chaînette

Le point de chaînette est un point qui se travaille en formant une série de boucles successives afin de donner l'impression de chaînons.

A partir du XIIe siècle, au moins, on le retrouve dans des ouvrages de broderie blanche allemande (ou ton sur ton), comme le montre la broderie suivante :

whitework-annimals.jpg Broderie germanique du XIIe siècle.

Dans cet exemple, le point de chaînette (en très gros plan) est brodés en soie coloée : sens-point-chainette-01.JPG Photographie : Laetitia Martini.
Bourse brodée, XIIIe siècle, Musée de Sens.

Le point de chaînette peut également être travaillé en points comptés dans des techniques proches de la tapisserie à l'aiguille. Carreau brodé, France, 14e siècle, Musée de Cluny.

J'ai repris cette technique et le motif précédent sur un étuis de flûte brodé.

Points de tapisserie

Souvent résumés au seul point de brique, les points de tapisserie permettent une grande variété de textures et de motifs. Le point de brique n'en étant qu'une parmi d'autres. Les points de tapisserie se travaillent à fils comptés disposés selon un schéma particulier qui donnera le motif ou la texture. Il en existe de nombreux qui sont utilisés dans les ouvrages à points comptés, essentiellement en Allemagne à cette époque, même si on en retrouve quelques exemples en France ou en Espagne. Ces points sont très utilisés dans l'opus teutonicum.

Un très bel exemple d'ouvrage réalisé au point de satin est l'ensemble des vêtements de Göss daté mi-XIIIe siècle. Sur ce détail de la chasuble on peut observer plusieurs points : la partie inférieure du vêtement est brodée au point de Hongrie en losanges, la partie drapée du vêtement (en bleu avec une structure en diagonale) est travaillé au point de tissage, quant au fond, il présente également une structure en diagonales mais brodée au point de gobelin oblique empiétant. satin-01.JPG Détail de la chasuble des vêtement de Göss, Allemagne, mi-XIIIe siècle, Musée autrichien des arts appliqués, Vienne.

Le point de brique

Le point de brique se réalise en brodant des points de même longueur décalés en quinconce.

Les exemples les plus connus de broderie au point de brique sont ceux, plus tardifs qui présentent des motifs colorés géométriques, comme cette tenture fin XIVe siècle : x-default Tenture brodée, fin XIVe siècle, Allemagne, MET.

Le point florentin

Le point florentin crée une texture en zig-zag.

Sur ce cadre de la dalmatique de l'ensemble de Göss, le point utilisé pour broder le fond est le point florentin qui crée un motif en chevrons.

Le point de Hongrie en losange

Dans le point de Hongrie, la longueur des points varie de sorte à créer un motif en losange.

Antependium, origine : allemagne, 1301-1400, Musées Royaux d'art et d'Histoire, Bruxelles.

Le point de gobelin oblique empiétant

Le rendu de ce point ressemble beaucoup au point de tissage mais les points ne sont pas droits mais légèrement obliques.

Sur ce détail d'aumônière brodée du 14e siècle, les zones abîmées nous révèlent que le point utilisé pour broder le corps n'est pas droit mais bien oblique : Aumônière, 14e siècle, France, MET.

Point de croix natté

Le point de croix natté est un point de croix asymétrique dont une branche est plus longue que l'autre. Il se travaille à points comptés. Il donne un résultat dense qui présente une structure de tresse semblable à des côtes de tricot.

On le retrouve dès le XIIIe siècle sur les bordures ou les frises géométriques, notamment sur les vêtements de Göss, mais également sur cette bourse à relique, datée XIIIe, conservée au musée de Sens : sens-01-croix-natte.JPG Photographie : Laetitia Martini.
Bourse brodée, XIIIe siècle, Musée de Sens.

Points de couchure

Les points de couchure sont une famille de point de broderie[1]. Le principe des différents points de couchure est de recouvrir une grande surface de tissu par de longs points lancés qui sont ensuite fixés par de petits points. Ils ont été très utilisés pour la broderie de tentures mais également pour la broderie de fils précieux (comme les fils métalliques).

couchure-or-endroit.jpg couchure-or-envers.jpg Sur ce fragment brodé, Angleterre, 1290-1310, conservé au V&A, bien que les fils d'or sont abîmés sur l'endroit, on voit qu'ils ne sortent pas sur l'envers. Le fil d'or est couché sur l'endroit et fixé par un fil de soie.

Point de Boulogne

Le point de boulogne se travaille avec 2 aiguillées. La première permet de lancer les fils, la seconde de les fixer. On peut fixer un seul point lancé à la fois ou plusieurs. L'utilisation de 2 aiguillées distinctes permet également d'obtenir des effets décoratifs, selon le diamètre et/ou la couleur des deux fils utilisés.

dalmatique-03.jpg Dalmatique, XVe-XVIe, musée de la société polymathique, Château Gaillard, Vannes.

Le point de boulogne pouvait être utilisé pour fixer des pièces de tissus en appliqué.

sens-applique-01.JPG Photographie : Laetitia Martini.
Musée de Sens, broderie (probablement XIVe siècle) : on remarque un point de boulogne prenant plusieurs fils qui suit le bord de la pièce appliquée.

Cette technique de broderie consiste à découper des motifs (brodés ou non) dans un tissus et de le coudre ensuite sur la pièce finale. Elle a plusieurs avantages :

  • Accélérer la mise en œuvre de la broderie en faisant exécuter par exemple, la broderie de médaillons simultanément par plusieurs personnes, et ensuite de les fixer sur l'ouvrage. La Dalmatique aux aigles faisant partie des insignes du St Empire Germanique, datée vers 1320 a ainsi de nombreux médaillons brodés appliqués.
  • L'appliqué permet également d'obtenir de grands motifs décoratifs avec moins de travail de broderie (lorsque le motif est simplement coupé dans un tissus contrastant). C'est le cas sur la bannière de Ferdinand III, de la première moitié du XIIIe siècle, conservée à la Cathédrale de Séville. Cette bannière a les armes de Castille et Leon appliquées :

banniere-ferdinand3-01.JPG Photo personnelle, Bénédicte Meffre.

  • On peut l'utiliser pour créer du relief dans les motifs de broderie en rembourrant légèrement le motif avant de l'appliquer. Cette technique, aussi appelée broderie emboutie est très fréquente dans les broderies d'or liturgiques plus tardives. On la retrouve pour la broderie des armes d’Édouard Plantagenêt (dit Le Prince Noir) vers 1376 sur son gipon funéraire ou sur certaines aumônières trapézoïdales du XIVe siècle, comme l'aumônière aux personnages grotesques datée XIVe, conservée au musée du moyen-âge de Cluny à Paris :

s_900-c40aaf.jpg

  • C'est également une technique utile en cas de remploi de tissus ou de broderies pré-existantes. Comme sur cette bourse à sceaux anglaise de la mi-XIIIe siècle, combinant les armes de Guillaume de Fortz à celle de son épouse Isabelle :

fortz.jpg

Le point de boulogne a été utilisé pour la broderie au fil d'or en couchant plusieurs fils en même temps. fond-or-texture-02.jpg Photographie personnelle : Bénédicte Meffre.
Broderie, XIVe siècle, Gérone. Sur le fond de la broderie, on voit qu'ici la couchure a été travaillée pour donner une texture en chevrons.

Il a été également utilisé pour réaliser des coutures décoratives en confection, pour renforcer et cacher des bords francs des encolures par exemple. J'ai proposé cette solution lors de la confection de mon costume d'artisan fin XIIe.

Couchure retirée ou couchure invisible

Ce point était utilisé essentiellement pour broder avec les fils métalliques (fils d'or en particulier) car il permet d'économiser les fils précieux tout en garantissant un résultat régulier impeccable et invisible sur l'endroit.

Le fil est couché sur l'endroit et maintenu par de petits points d'un fil de soie fin passé dans le même trou afin de tirer le fil d'or sur l'envers du tissus.

medaillon-01.jpg Médaillon brodé, Angleterre, 1230-1250, V&A Museum.

Sur ce médaillon, le schéma de couchure est réaliser pour donner un résultat semblable au point de brique. Mais selon les périodes et les styles décoratifs, le schéma peut changer et donner des motifs en chevrons, en losanges ou à flottés : fond-or-texture-01.jpg Bourse à reliques, Angleterre, 1320-1330, V&A.[|http://collections.vam.ac.uk/item/O15367/burse-unknown/|en]

Lancé couché ou point de Bayeux

C'est le point de remplissage utilisé sur la tapisserie de Bayeux.

Tapisserie_Bayeux_01.jpg

Il se réalise en trois temps :

  1. Remplir la surface à broder avec des points lancés nombreux et très serrés ;
  2. Recouvrir perpendiculairement la surface de points de couchure légèrement espacés (3mm dans le cas de la tapisserie de Bayeux), il faut noter qu'au delà de 5mm les points de broderies sont très fragiles. Cette série de points est à l'origine des lignes qui ressortent sur les remplissages de la tapisserie.
  3. Fixer la deuxième série de points lancés par des petits points simples (picots) espacés régulièrement et disposés en quinconce.

Le point de Bayeux est le point de broderie que j'ai choisi d'utiliser pour broder un motif animalier (courant sur les bordure de la tapisserie de Bayeux) sur une aumônière fin XIe.

Couchure Boukhara ou point de figure

Ce point de couchure s'exécute avec la même aiguillée pour les points couchés et les points de maintient. Le point est couché et fixé au fur et à mesure.

girona-detail-01.jpg Ce point est utilisé dans la tapisserie (qui, comme la tapisserie de Bayeux est une broderie) de la Création de Gérone, datée de la fin du XIe siècle.

C'est également un des points utilisé en peinture à l'aiguille, d'où son nom de point de figure.

Agréments

La richesse des ouvrages brodés pouvaient également s'exprimer au travers d'agréments ajoutés à la broderie :

  • Perles de verres ;
  • Pierres précieuses et semi-précieuses ;
  • Paillettes d'or et d'argent ;
  • Émaux.

Les plus beaux exemples de ce type d'embellissement sont sans doutes sortis des ateliers de Palerme au XIIe siècle.

manche-palerme.jpg La Manche de la dalmatique de Roger II de Sicile présente à la fois, paillettes d'or, perles et émaux.

J'ai proposé une reconstitution de bourse ainsi décorée d'or et de perles dans le cadre de la reconstitution d'un costume de noble mi-XIIIe.

Conclusions et perspectives de reconstitutions

Au travers de cet article, j'ai tenté de proposer une introduction sous forme de liste des points les plus fréquemment rencontrés au cours de la seconde moitié du moyen-âge.

J'ai tenté de proposer des sources variées et surtout de mettre en lumière certains détails spécifiques. Certains points, certaines techniques, mériteraient d'être approfondies mais il me semblait impossible de le faire dans cet article. Il n'est pas impossible qu'à l'avenir, je propose des articles traitant justement de ces sujets à la faveur des réalisations de notre atelier de brodeurs. En attendant, j'espère avoir été suffisamment claire sur les sources citées, les liens et les indications bibliographiques pour vous permettre d'approfondir les points que vous souhaitez.

Comme je le rappelais dans l'introduction, connaître les points de broderie utilisés est une pré-requis nécessaire mais non suffisant pour pouvoir se lancer dans l'évocation de broderie historique (quelle que soit la période). En effet, bien que les sources et leur provenance ait été précisée autant que possible, il y manque des informations importantes pour replacer ces techniques dans leur contexte précis : lieu, style et usages.

Pour une application en reconstitution raisonnée, il est indispensable de compléter cet article par l'étude détaillée des styles de broderies (tels l'opus anglicanum, l'opus teutonicum que j'ai évoqué à plusieurs reprises dans cet article) de sorte à être capable de déterminer pour un ouvrage, à la fois les différents points à associer, les matériaux à utiliser ainsi que les motifs caractéristiques, selon, l'époque, le lieux ainsi que les contextes de création et d'utilisation.

Ces aspect de la broderie seront évoqués ultérieurement dans de nouveaux articles.

Bibliographie

Browne C., Davies G., Michael M. A. ; English Medieval Embroidery: Opus Anglicanum ; Victoria & Albert Museum ; Yale University Press ; 2016.

Castiñeras M. ; Le tapis de la création ; Catedral de Girona ; 2011.

Staniland, K ; Les Artisans du moyen-âge - Les Brodeurs ; Lombard

Thomas M., Eaton J. ; L'encyclopédie de la broderie ; Fleurus ; 1999.

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