La robe
En gardant à l'esprit les questions d'utilisation quotidienne, pour le travail, le voyage, et en toutes saisons, j'ai voulu cette robe de conception simple respectant la silhouette que l'on observe fin XIIe sur les enluminures, à savoir : buste près du corps, la poitrine aplatie, et la jupe évasée, des manches resserrées, comme la majorité des sources fin XIIe.
J'ai voulu soigner la réalisation et les détails, pour créer une robe élégante mais sans décoration trop ostentatoire.
Les sources
La reconstitution de cette robe est le résultat du croisement de sources iconographiques, telles que le manuscrit Normand 1186, la Bible de Manerius qui sont mes deux références principales pour cette réalisation, ou l'Hortus Deliciarum, la statuaire, les romans de l'époque, mais aussi les pièces archéologiques et leurs études, notamment, les tuniques Moselund et Kragelund[1] ainsi que les études textiles qui ont été réalisées suites aux fouilles archéologiques du Groenland.
L'étoffe
Le tissu utilisé est une toile de laine moyennement épaisse, rustique mais de bonne qualité.
Elle a été teinte dans un bain de garance[2], mordancée à l'alun.
Le patron
Pour obtenir la silhouette : j'ai pris les mesures la poitrine bandée. Les deux lés principaux du buste sont coupé droit selon la largeur du tour de taille. Pour obtenir un peu d'aisance à la poitrine, j'ai fait descendre les godets situés sous les bras d'une bonne dizaine de centimètres.
Les emmanchures, en revanche sont coupées selon un modèle moins archaïque pour l'époque, comme sur la tunique Moselund. En effet, à cette période, il semble qu'il y ait cohabitation des deux types d'emmanchures : celles "en T" qui est le modèle ancien, les emmanchure arrondies font également leur apparition dans les coupes plus soignées. Se sont les prémices d'une mode qui va atteindre son point culminant avec les emmanchures à grandes assiettes. J'ai donc choisi ce type d'emmanchure plutôt moderne pour l'époque car le vêtement, quoi que simple, est assez soigné, et ne correspond pas à un personnage des plus pauvres.
Les manches sont coupées selon le patron de la tunique Kragelund : une pièce triangulaire (en forme de triangle rectangle) est ajoutée au niveau de l'avant-bras (en partant tout de même de haut dessus du coude) qui, grâce à l'embue, ajoute un peu d'aisance au niveau du coude pour plier le bras.
On voit sur la photo précédente la petite poche au niveau du coude, formée grâce à l'embue, permettant ainsi un confort de mouvement dans cette manche très moulante.
J'ai ajouté pour l'ampleur de la partie jupe quatre godets triangulaires : sur les côté, devant et derrière. Ils partent de la taille.
J'ai utilisé le type d'assemblage retrouvé sur les vêtements danois de la fin du XIIe siècle, où la couture est en Z. Ils permettent de créer un effet de relief en plaçant les godets sous les pans principaux et d'initier la mise en place des plis.
En outre, pour créer un effet encore plus marqué, j'ai cousu les plis sur le haut des godets, comme on le voit sur la tunique moselund. Le point pour mettre en place ces plis se fait sur l'avant de l'ouvrage.
L'effet ainsi obtenu rappelle ce que l'on peut voir sur certaines enluminures de l'époque (comme sur l'extrait de l'Hortus Deliciarum présenté plus haut, on remarque bien l'effet de plis sur les hanches.) :
On peut remarquer, sur les personnages de cette statue de la cathédrale de Modène, des plis formés sur la hanche. Il pourrait tout aussi bien s'agir d'un vêtement de dessus fendu de la taille aux pieds et laissant apparaître le vêtement porté en dessous, mais je n'ai pas choisi cette interprétation. En effet, il s'agirait alors de la seule représentation que je connaisse de ce type de vêtement pour l'époque, alors que les plis représentés sur la statue donnent un effet similaire à ceux que j'ai réalisés et qui sont attesté par l'étude des vestiges archéologiques présentés au dessus.
J'ai réalisé un amigau à l'encolure.
Conformément à ce qui a pu être retrouvé sur les pièces de fouilles danoises, l'encolure ainsi que les poignets sont finis par quelques points à la fois décoratifs et de renforcement. Cette série de trois rangée de points avant est réalisée dans un fil laine bleue, à deux brins, teintée au pastel. Une lisière au point de boulogne (réalisée avec un fil jaune, teinté à la gaude, couchée à la laine bleue) masque la marque de l'ourlet.
Cette finition discrète me paraissait tout à fait convenir à la richesse du costume que je voulais réaliser.
L'amigau est fermé par un fermail légèrement décoré.
De même, pour réaliser l'ourlet du bas de la robe, j'ai utilisé une technique avérée par les pièces de fouilles : la bordure aux galon.
Cette technique permet d'ourler de manière décorative sans rencontrer le problème des ourlets cousus sur des bordures courbes.
Pour ceci, j'ai coupé proprement le bas de la robe. Puis, sans plus de préparation car mon tissus ne s'effiloche pas, j'ai tissé directement sur la bordure un petit galon.
Ce galon est tissé sur la face extérieure avec 4 fils de laine bleue teintée au pastel enfilé sur 2 cartons (les cartons n'ont donc des fils que dans 1 trou sur 2). Sur la face intérieure du vêtement, j'ai simplement fait courir 2 fils de laine jaune (teintée au lichen) pris dans le tissage. Le fil de trame est un fin fil de laine beige teinté à la pelure d'oignon monté sur une aiguille.
Pour tisser, au lieu de faire des allés-retours dans ma foule, j'ai passé mon fil de trame de l'extérieur vers l'intérieur dans la foule créée par les cartons, j'ai piqué la trame dans le tissus. Le retour (passage de la trame de l'intérieur du vêtement vers l'extérieur) se fait sous le vêtement en prenant soin de faire passer les 2 fils jaunes dans la trame. Ainsi, le galon, n'est pas simplement juxtaposé ou cousu en bordure du vêtement, mais prend la bordure en sandwich.
La ceinture
La ceinture, en laine, est tissée au cartons. Le motif de losanges imbriqués est assez simple. Elle s'utilise sans boucle rapportée ni ardillon, puisque la boucle a été tissée. La laine marron est naturelle, la jaune a été teinte à la gaude. Elle a été réalisée avec 10 cartes à 4 trous.
Dans le même esprit, j'ai voulu qu'elle se termine sans plaque ni mordant. Pour cela, j'ai tissé la fin en supprimant petit à petit les fils de chaîne en commençant par ceux du centre tout en essayant de respecter le motif.
J'ai terminé la ceinture par une tresse à 8 brins.
Les coiffes
Le couvrechief ou voile
La première coiffe que je propose est un simple voile en lin blanc drapé. On le pose en son milieu sur le dessus du crane et on laisse un pan pendre derrière l'épaule tandis que l'autre est passé par dessous le menton. On peu fixer quelques plis ou bien un des pan à l'aide d'épingles.
C'est loin d'être ma coiffe préférée. En effet, elle bouge sans arrêt et il est difficile de la faire tenir en place dès lors que l'on a la moindre activité. Peut être qu'avec un drapé mieux maîtrisé, cette coiffe deviendrait plus agréable à porter.
Le touaille ou savanion
Cette coiffe d'origine orientale qui se porte à la façon d'un turban, semble assez commune à Byzance où elle est appelée savanion ou même en Sicile (c'est la coiffe représentée en majorité pour les femmes dans le Liber ad honorem augusti). On retrouve cette coiffe en France à la fin du XIIe siècle. Elle me semble être malgré tout, un élément orientalisant. Ainsi, dans l'iconographie on la retrouve dans le Hortus Deliciarum, sur une allégorie de la Superbe. Dans la littérature, cette coiffe semble être désignée sous le terme de touaille
(qui traditionnellement désigne un torchon) que l'on entortille
pour la mettre.
Perspectives
Le fait d'essayer de restituer plus finement les assemblages et les points de couture selon la couture à réaliser, m'a permis de mieux gérer le fait de vouloir rendre des effets que l'on peut observer sur les enluminures. Concernant ces effets, justement, ça m'a permis de réaliser que ce que l'on prend parfois pour des libertés artistiques de l'enlumineur, sont tout à fait réalisables et que le manque de technique et/ou l'ignorance devrait être pris en compte avant d'accuser l'artiste. Bien entendu les connaissances précises, basées sur l'étude approfondie de pièces de fouilles est assez rare et trop peu souvent accessible, je ne peux que le regretter car ça ouvre réellement de nouvelles perspectives pour la réalisation de nos costumes.
Ce que j'ai présenté ici, est la base du costume auxquels vont s'ajouter divers éléments, tels que de nouvelles chaussures, de nouvelles coiffes, divers manteaux et épaisseur de robes.
J'ai également prévu de l'utiliser comme costume de voyage cet hiver.
En attendant, je me tisse de nouvelles jarretières ...
... ou me détends avec un air de flûte au coin du feu.
Notes
[1] Les études de ces vêtements ont montré que leurs tailleurs étaient d'origine anglaise ou continentale. De ce fait, ils peuvent nous renseigner malgré l'éloignement sur les techniques de couture et patrons qui ont pu être utilisés en France ou en Angleterre à la même époque.
[2]J'ai d'abord attribué la teinte orangée obtenue à l'âge et à la conservation de ma garance.
En fait, il s'agit de la qualité de l'eau !
J'ai déménagé dans une région où l'eau est ... très pure : pas de chlore, pas de calcaire ni autre minéraux (oui, la volvic coule au robinet) et cette absence de calcaire dans l'eau pourrait expliquer (plus logiquement) le résultat obtenu (différent du rouge pétant que j'obtenais à Paris).
La prochaine fois, si je veux du rouge pétant, j'ajouterai un peu de blanc de Meudon à mes bains ! (à moins que quelqu'un me fasse un gentil colis d'eau dégueu parisienne !).
1 De Perline -
Hémiole je reste toujours baba devant tes réa!
J'en suis venu à la même conclusion que toi concernant les plis représentés sur les enluminures et la statuaires, qu'on peu rendre en utilisant les bonnes techniques.
Je reste persuadé que si on veux coudre une robe entièrement à la main( ce que je n'ai encore réalisé) il faut avoir pris des information et faire ca bien et non comme une couture machine mais faite main ;)
Je serais interessé par la façon dont tu as installé ton godet à l'avant et à l'arière, j'ai toujours du mal à ce que ca tombe bien si il n'y as pas de couture au dessus. sur quelle technique t'es tu basée?
encore bravo
2 De Sagiterra -
Bravo Hémiole !
J'apprécie beaucoup ton esprit de liberté qui te permet d'interpréter avec justesse (à mon avis) les enluminures parfois énigmatiques.
Et en plus c'est très réussi!
Juste une remarque: je n'aime pas trop le rapprochement du jaune et de l'orange…
Mais tes réalisations sont toujours pleines de bon sens et visiblement fonctionnelles.
3 De Diane -
Moi aussi faisant du XII, je suis très interessée par ce que tu as réalisée.
J'ai été confrontée à la nécessité de modifier mes lais de tissues découpés d'après les patrons de bases que j'avais trouvé pour ajustée la robe à la silhouette: je ne suis pas une fille aux mensurations acceptant des coupes droites puisque le résultat est ridicule et ne ressemble en rien à une robe coupée correctement. En changeant: mon bliaut et ma chainse sont visiblement plus histo et acceptatble. Mais leur patron "final"...n'est plus strictement historiquement corrects . (ça me chiffonne)
Et vous? Hémiole et Perline, Avez-vous eu ce genre d'embêtements et qu'avez-vous fait?
4 De Lecteur -
Bonjour,
jolie tenue (mais je n'adhère pas du tout au système de plis forcés dans le godet : cela fait trop artificiel pour moi).
As-tu lesté le pan de ta ceinture pour lui assurer une bonne tenue ou bien la laine est-elle déjà assez rigide ?
(Sinon, pour du tissu, on dit plutôt "un lé" et non "un lai", qui est réservé aux poésies et contes - cf. les Lais de Marie de France) )
5 De litlnemo -
I am sorry I cannot write in French. But I want to tell you that this is lovely work. Thank you for posting the photos! They are very inspiring!
6 De Perline -
Pour mes robes, tout dépend :
pour les époques "amples", pas de problèmes: goussets
Pour les choses plus moulées, une découpe un peu arrondie sous les bras (on la voie sur certaines robes plus tardives) pour l'adapter à mes mensurations... quoique maintenant, je n'en ai plus autant besoin lol (taille épaissie ;) )
Et pour celles ou ca doit vraiment être trés ajustée, j'ai rajouté des lacages sous les bras (ma robe inspiré de la cathédrale de chartre) ce qui donne les memes plis que sur la statuaire!
Sinon pour les godets, moi j'aime bien. et si tu trouve ça artificiel, que diras tu de la tunique ou les godets comencent sur un carré brodé puis sont plissés? et les autres où ils sont carément en nid d'abeille (je me souviens plus exactement de l'époque de ces deux là)
Le problème étant que si tu ne les avais pas "forcé-cousus" ben bonjour les hanches ;)
7 De perline -
psssttttt regarde ce que j'ai retrouvé dans ton blog :
home.insight.rr.com/cains...
home.insight.rr.com/cains...
8 De Diane -
Pardon pour le manque de précision: en fait, je me suis retrouvée à avoir trop de tissus entre les épaules et sous les aisselles. (malgré les bonnes mesures prises épaules à épaules!) Donc, j'ai coupé l'énorme pli triangulaire en trop (qui se retrouvais des 2 cotées, aussi bien devant que derrière, et recousu, ni vu ni connu.
au niveau de la taille j'ai fait le laçage sur les cotés (d'après la même source que toi, l'hortus delicarium). Très pratique!!
bonne continuation
9 De perline -
Coucou miss. Je voulais te montrer une photo de mon costume, sur la photo il n'est pas fini (manque des boutons (maintenant oui, jusqu'à ce que je retrouve du tissus pour ma doublure)
Bref, les plis sont trés trés marqués bien qu'ils ne soient pas forcé. C'est la première fois que le rendu est aussi bien... et c'est aussi la première fois où j'ai doublé chaque pièce à part avant de coudre. là est peut-être une des solutions...
(manque aussi un triangle à l'avant, mais pour ça faut que je retrouve le lin qui m'as permis de doubler tout le reste
pic.aceboard.net/img/2039...
10 De Gaëlle -
Bonsoir,
Je me permets de revenir sur ce qu'a dit Perline plus haut au sujet de l'assemblage des godets devant et derrière.
Moi aussi, j'ai eu bien du mal, malgré une finition à la main (alors qu'autrement je fais les coutures cachées à la machine et seulement celles qui sont visibles à la main). J'ai réalisé ainsi une robe pour la petite fille d'un copain (Sarah, 2 ans et demi) d'après les fouilles archéologiques réalisées au Groënland. Eh bien, je crois que je ne recommencerai pas, d'autant que j'avais poussé le détail jusqu'à faire toutes les découpes (et ça fait beaucoup de couture pour une aussi petite robe...) du modèle.
En effet, en fouillant, j'ai trouvé la solution lorsque j'ai voulu faire une tunique pour mon fils de 5 ans. Un modèle retrouvé atteste une couture au milieu du torse (dans le sens de la largeur, et non de la hauteur), et donc on peut ainsi coudre le godet beaucoup plus facilement. L'hypothèse avancée (le modèle comporte beaucoup de petites pièces de tissu assemblées les unes aux autres) est l'économie de matière : il semblerait que la tunique ait été réalisée avec des "restes". En tout cas, ça m'a semblé être une bonne idée à reprendre, et un peu de facilité, des fois c'est pas mal.